Et le métro devint tram

… et le train aussi.  Et le « trambus » aussi…

Le métro bruxellois alimente à nouveau la chronique, au moment où le Ministre régional des finances fait remarquer que la ligne 3 est impayable mais insiste pour qu’on continue les travaux.  Cette schizophrénie illustre bien la situation : en effet le métro, qui au demeurant dans le cas présent s’est déjà montré inutile avant de naître, se révèle « tout-à-coup » impayable, mais « indispensable » aux yeux de certains.

On ne s’étendra pas sur l’obsession qu’ont quelques-uns de faire du métro partout – elle a déjà frappé à Amsterdam par exemple, mais aussi à Rennes, Toulouse, … et a failli atteindre Cologne -, mais, au contraire, sur un phénomène inverse qui prend de l’ampleur : de plus en plus d’initiatives qui pensent tram plutôt que métro, allant jusqu’à reconvertir ces derniers.

Dans ce dernier modèle, on a Amsterdam, avec un exemple où une nouvelle ligne, vers Amstelveen, avait été conçue pour accueillir à la fois du métro, dont le lobby était très fort à l’époque, et des trams qui permettaient d’accéder directement au centre-ville.  Le premier y a disparu.

La reconversion de métro en tram procède d’une démarche double d’ajustement des réponses aux besoins et aux moyens, mais aussi de modernisation.  Le tram a en effet de nombreux arguments pour séduire les décideurs les plus intelligents : outre son coût cinq à dix fois moindre (ceci est plus qu’un détail), pour les usagers il est surtout beaucoup plus accessible, maintenant avec son plancher bas, et depuis toujours sans exiger des exploits spéléologiques dans de profonds tunnels avec batteries d’escalators plus ou moins en panne et d’escaliers pénibles.

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Le choix du tram a lieu un peu partout, notamment en France, pays pionnier en matière de démantèlement des réseaux, commencé avant-guerre.  Depuis 1985, initié à Nantes, on observe un gigantesque chantier de reconstruction : actuellement une vingtaine de villes en sont (re)équipées.

De nombreux décideurs politiques, aux prises avec le besoin d’améliorer les transports publics, un peu en manque d’imagination, rêvaient de métro.  Malheureusement, sauf pour des villes de plusieurs millions d’habitants, cette option s’avérait impayable, malgré l’aide de l’État.

Il fallait donc faire un choix.

Qui a été fait souvent opportunément et à temps : par exemple à Bordeaux, où on a opté d’emblée pour le tram, avant de commencer des travaux irrémédiables.

Ou presqu’à temps : Nice, qui n’a quand même pas pu éviter un bout de tunnel pour « vendre » sa seconde ligne de tram (avec quand même ici un argument décisif, et pertinent : une montagne à traverser).

Ou trop tard : Lille, virtuellement en faillite après avoir construit deux lignes de métro, qui a maintenant décidé de développer le tram pour enfin desservir, enfin, les quartiers délaissés de l’agglomération.  Bruxelles, ville de la même taille, n’a, elle, même pas encore compris.

Le choix du tram peut être seulement partiel, pour ne pas vexer les inconditionnels du métro : à Marseille, où sans renier ce dernier, on se dirige plus vers un avenir tram ; à Lyon, qui fait maintenant du tram et continue parallèlement un peu de métro ; timidement à Toulouse, qui met un peu de tram à côtés de gigantesques investissements métro (que la Cour des Comptes critique vertement).

A Amsterdam aussi, les bétonneurs ont pu se consoler avec une ligne de vrai métro vers le nord, traversant l’Ij, ligne au demeurant très utile pour désenclaver un quartier tout proche du centre mais isolé par le bras de mer (pour illustrer le besoin, signalons qu’un ferry les relie aussi, à intervalles de quatre à six minutes jusqu’à minuit, douze minutes durant la nuit !).  Dans cet ordre d’idées, on notera qu’à Anvers le passage sous l’Escaut a donné une sérieuse légitimité au tunnel sous le Meir, mais qui reste(ra) lui exploité par des trams.

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Il n’y a pas que le métro qui est victime de la modernisation de la pensée : il y a aussi des exemples de reconversion « downsizing », où le train devient métro.  à Londres, l’Overground est la récupération de tronçons de lignes de chemin de fer pour compléter le réseau de métro « underground » et « Tube ».

Le métro de Rotterdam a, lui, mis la main sur une ligne locale de chemin de fer lui permettant de pousser jusqu’à La Haye (excusez du peu).  Il faut dire que le métro de Rotterdam est un habitué des tentacules : après Spijkenisse (20 km tout de même) il va même maintenant presque jusqu’à la mer, à Hoek van Holland.  Cela à défaut de vraiment desservir la ville, laissée aux trams : le métro ne s’y étend que sur quelques kilomètres, sur deux axes.  On notera aussi que la seconde ligne est partiellement un métro léger, en surface avec des passages à niveau.

Et des cas où le train devient carrément tram.

à commencer par Karlsruhe, qui a inventé le train-tram : l’idée était de conduire directement les habitants de banlieues au centre-ville, étant donné que la gare principale de Karlsruhe en était assez éloignée.  On a donc mis sur les lignes de chemin de fer des trams, qui peuvent descendre directement en ville, dans les rues (à noter que, victime de son succès, il a été décidé d’un tunnel au centre-ville, pour augmenter la capacité ; le concept de train-tram n’est pas pour autant remis en cause).  Saarbrücken a suivi Karlsruhe, avec le premier train-tram international, qui va jusqu’en France, à Sarreguemines.

Dans la foulée, le modèle a fait émerger un constat intéressant : pour les lignes locales de chemin de fer, le tram, plus performant, moins lourd et moins exigeant en termes d’infrastructures, se révèle bien plus avantageux que les convois ferroviaires classiques.  à tel point qu’à Karlsruhe des lignes purement ferroviaires sont exploitées par des trams (ce qui est battu en brèche par la Commission européenne au nom – douteux ici – de la libéralisation des chemins de fer).  Les principaux défis techniques, résolus, ont trait aux rails et à l’alimentation électrique.  Ou plus globalement à l’alimentation en énergie : il existe même des trains-trams diesel.

De quoi inspirer la SNCB.  Ou la Région flamande, qui avait pourtant choisi la formule pour relier Hasselt à Maastricht, avant de faire volte-face.

Aux Pays-Bas, la ligne de Zoetermeer des Nederlandse Spoorwegen, pourtant mise en service assez récemment avec la création de la ville (dans ce pays on planifie), a depuis été convertie en tram, avec l’avantage, comme à Karlsruhe, de rejoindre directement le centre-ville de La Haye.

Le train-tram a séduit en France (inspirée par celui de Saarbrücken ?), où les projets, et les réalisations, se succèdent : Nantes, Lyon, Mulhouse, même en ’Ile-de-France (Paris et sa banlieue).

En fait Paris expérimente un peu de tout sous le vocable tramway, devenu dans ce pays politiquement très porteur : des autobus guidés (trams sur pneus – lignes T5 et T6) aux véhicules qui roulent exclusivement ou quasi exclusivement sur des infrastructures SNCF, (T4 branche Aulnay, T11), ou anciennement SNCF (T2, simple conversion d’une ligne ferrée classique, dorénavant parcourue par des trams), en passant par de « vrais » trams-trains, où il y a mixité (T4 vers Montfermeil, alors que la branche Aulnay de cette même ligne est quasi ferroviaire), et de vrais trams urbains (T1, 3a, 3b, 7, 8, 9).

Le T11, qui s’appelle aussi tram, assure une desserte de type RER, ou S-Bahn, à une vitesse commerciale de très loin supérieure à celle d’un métro.  Dans le même ordre d’idées, Karlsruhe envoie elle ses trams au cœur de la Forêt noire, sur une ligne de 80 km, desservie notamment par des Eilzüge, des trams semi-directs.

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Autre exemple de downsizing : Utrecht a décidé de convertir son métro léger en tramway.  Vu qu’il est entièrement en surface, la nuance ici est subtile.  Il s’agit en fait de remplacer du matériel « lourd », type métro, à plancher haut et nécessitant des quais ad hoc, en tram à plancher bas, plus accessible.

Cologne, qui a développé un réseau de semi-métro dans la même veine (le plancher bas n’existait pas à l’époque), est lancée dans une grande opération de conversion avec pour objectif « barrierefrei » d’assurer l’accessibilité des véhicules : vu la situation héritée du passé, il s’agit de convertir les lignes soit entièrement à quais hauts, soit entièrement à quais bas, et à les desservir avec les véhicules ad hoc.

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à l’inverse du downsizing, le tram commence aussi à être le bénéficiaire d’opérations d’« upgrading ».

De nombreux décideurs politiques, aux prises avec le besoin d’améliorer les transports publics, ne pouvaient pas accepter le tram « système du passé » (tiens, et le métro, qui date de 1869 ?), surtout parce qu’il remet en cause l’espace dédié à l’automobile (et l’intérêt de l’industrie du pneu, dans un cas précis).

Devant leurs attentes, d’aventureux industriels, tels BN (devenu Bombardier), Daimler-Benz ou Translohr, ont développé chacun leur propre système de « superbus », avec guidage mécanique ou même seulement optique.  Ils ont fait miroiter de nombreux avantages par rapport au tram, tels une plus grande souplesse d’exploitation et surtout un moindre coût d’investissement initial.  L’histoire nous a entretemps montré ce qu’il en est réellement, et lesdits industriels abandonnent progressivement leur concept.

De ce fait, mais aussi du fait de nombreux déboires à l’exploitation, certains systèmes qui ont été mis en service sont actuellement en voie d’extinction (Nancy, Clermont-Ferrand, …) ou même ont déjà été remplacés … par des trams (Caen).  Et ceux qui ont décidé plus récemment (Paris notamment), et qui doivent donc amortir leur investissement, sont dans l’expectative. Gageons qu’à terme ils feront de même.

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