Porté par un vent favorable dû à une prise de conscience environnementale, le train rentre petit à petit en grâce dans les esprits.
Et des initiatives voient le jour, comme par exemple la renaissance des trains de nuit, dont on fait grand cas. Ce service, dont l’utilité est indéniable parce que ces trains permettent d’arriver à destination le matin, frais et dispos, ce qui est pratiquement impossible autrement dès que la distance devient un tant soit peu significative. Il s’agit cependant d’un marché de niche, qui ne couvre qu’une petite partie des déplacements à longue distance.
D’où l’idée, complémentaire, qui commence à circuler de (re)faire rouler des trains internationaux, rapides, entre les grandes capitales… et la nostalgie des TEE – Trans Europ Express. C’était précisément, dans la seconde moitié du siècle dernier, des trains de prestige, rapides, entre les grandes villes.
Mais, au fait, pourquoi ont-ils disparu ?
L’époque que nous venons de vivre a vu la démocratisation du transport aérien, avec une multiplication des relations et des fréquences offertes, jusqu’à ce que dans l’esprit de la population l’avion s’impose comme choix pour tout déplacement qu’on ne fait pas en voiture. Ou s’impose presque toujours : il y a aussi, sur quelques relations privilégiées, les TGV – Trains à grande vitesse – qui ont pu se faire une place significative dans le marché de transports, là où ils circulent.
Cependant les lignes à grande vitesse ne couvrent que quelques axes, et sont donc loin de rencontrer tous les besoins. Parallèlement, il faut bien le dire, les entreprises ferroviaires ont vraiment négligé les relations internationales hors grande vitesse, ce qui a évidemment renforcé l’avion.
La Belgique est peut-être l’exemple le plus représentatif, qui a vu depuis un quart de siècle la suppression de tous ses trains internationaux hors Thalys et Eurostar (à part les semi-directs qui vont vers Amsterdam et Luxembourg … à 70 km/h (!), en s’arrêtant dans toutes les petites villes du parcours, et même plus : Marloie, Marbehan, …). Et pour Strasbourg, on vous invite à passer par Paris, 300 km de détour, TGV oblige. Quant à la Suisse, l’Italie, l’Autriche, la Scandinavie, … on oublie.
Pourtant on commence à entendre des gens qui se disent qu’ils prendraient bien le train s’il y avait de bons trains. Et de citer l’exemple du parcours Berlin – Bruxelles, prisé notamment pour des relations professionnelles ou d’affaires. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si les initiatives TEE 2.0 viennent essentiellement d’Allemagne.
Ceci dit, pour prendre une initiative concrète, convaincante pour le public, on doit d’abord se rendre compte que le contexte a fortement changé.
Un point à ne pas négliger est l’ouverture du marché : tout opérateur qui le souhaite peut faire rouler des trains ; comment alors organiser, et à qui confier des « TEE » ? Il faudrait, à l’image des missions de service public, une autorité pour définir le service, quitte à le confier à un opérateur. D’initiative, ceux-ci s’orientent plus volontiers vers le low cost sur des relations rentables plutôt que sur des trains répondant à des normes de qualité (y compris de vitesse) sur des relations d’intérêt général.
Autre point : si on veut un véritable réseau, il faut y intégrer les TGV. La fin des TEE Bruxelles – Paris, qui offraient à l’époque un service enviable – confortable, rapide (pour l’époque), fréquent (c’est devenu important !) – est due à Thalys qui les a enfoncés grâce à ses performances propres. Sans intégration, il y aurait deux réseaux, selon que la relation bénéficie d’une ligne à grande vitesse ou non ; et en fait la situation serait encore plus complexe, parce que certaines relations bénéficient partiellement de LGV. Il est important ici de souligner que la complexité de l’offre est un facteur parfaitement rédhibitoire pour une grande part de la clientèle potentielle.
Dans la complexité intervient aussi la nécessité de changer de train en route : la correspondance. Symptomatique, lorsqu’on évoque le besoin d’un TEE Berlin – Bruxelles : en réalité on peut déjà faire ce parcours en 6 h ¾, et ce avec un départ toutes les heures ; quoi de mieux ? à part gagner une vingtaine de minutes à Cologne, un TEE n’apporterait pas beaucoup. Sauf que… (presque) personne ne songe à prendre le train, parce qu’il faut changer à Cologne ; à l’aéroport il est inscrit « Bruxelles » sur le tableau de départs ; à la gare, on voit « Köln » ou « Aachen » : rédhibitoire pour beaucoup.
Ceci met le doigt sur une autre dimension de la problématique. Progressivement, depuis quelques décennies, la fréquence de desserte des trains de grandes lignes a progressé, de sorte qu’actuellement on peut traverser une bonne partie de l’Europe occidentale toutes les heures. Très bien en soi. Mais pour compenser une fréquence limitée, les TEE devraient trouver les créneaux horaires (« sillons ») qui séduiront la clientèle. Or ces sillons sont très demandés, à tel point qu’ils sont de plus en plus définis, et réservés, dans une logique de trains cadencés.
Que faire alors ?
Une idée peut germer sur base du constat précédent. Des trains, nombreux et souvent (de plus en plus) performants, existent ; par exemple toutes les heures de Berlin à Cologne, presque toutes les heures (ICE et Thalys alternés) entre Cologne et Bruxelles, et plus que toutes les heures entre Bruxelles et Paris. Par une fusion de services Thalys + ICE on peut assurer toutes les deux heures un Berlin – Bruxelles – Paris sans dépenser un centime par rapport à la situation existante, sans remettre en cause le Francfort – Cologne – Bruxelles ou l’Amsterdam – Bruxelles – Paris, … et sans consommer de précieux sillons. De nombreux autres exemples existent. L’Allemagne et la Suisse ont joué d’ailleurs sur ce tableau pour assurer des relations directes spécifiques basées sur le service IC – Intercity de base.
Pour les relations qui ne bénéficient pas de LGV il est aussi possible de mettre – ou remettre – en route des trains efficaces, rapides à leur échelle, souvent en réorientant les efforts épars déjà consentis : ainsi par exemple un Bruxelles – Bâle – Zurich, reliant au passage les capitales européennes, en s’appuyant sur les TER rapides français et les IC Suisses (la partie belge est à recréer) ; il roulerait aussi vite que les Thalys entre Bruxelles et Amsterdam !
Ces trains resteraient accessibles à tous, ce qui est un avantage sur les anciens TEE, qui étaient réservés à une élite financière (et d’ailleurs en fin de vie, pour surnager, ont commencé à accepter la deuxième classe). à défaut on assisterait à la création d’une troisième classe de trains, à côté des deux qui existent déjà – ordinaires (Inoui, ICE, IC, …) et « low cost » (Izy, Ouigo, certains privés) -, ce qui a notamment pour effet de complexifier l’univers ferroviaire et de détourner une partie de la clientèle potentielle.
Et le nom est tout trouvé, il ne faut pas l’inventer : Eurocity. Concept existant qui ne demande qu’à être valorisé, qui évoque l’Europe, les grandes villes, et autant l’intégration avec les Intercity qui existent dans de nombreux pays (et existaient en Belgique avant que le terme ne serve à désigner des trains desservant jusque des toutes petites gares).