Bruxelles (re)partie pour cinq ans d’immobilité

Le nouveau Gouvernement de la Région de Bruxelles-capitale a, bien logiquement,  présenté son programme.  Un des chapitres s’intitule « une politique de mobilité au service des Bruxellois et de leur qualité de vie ».

La Région ambitionne de réduire l’utilisation de la voiture individuelle à un quart des déplacements en 2030.  Dans les années 90 du siècle dernier, elle avait déjà formulé des objectifs beaucoup plus modestes, qui n’ont jamais été tenus.  Évidemment 2030 n’engage pas le Gouvernement, qui ne se fixe pas d’objectifs concrets pour 2024.

Au-delà du titre, et des bonnes intentions qu’on trouve dans l’introduction et partout dans le texte, ce qui importe ce sont bien sûr les mesures concrètes.

La principale est celle-ci : « le gouvernement s’engage à concrétiser le projet de métro vers le Nord de Bruxelles en réalisant le tronçon gare du Nord – Albert (ndlr : en direction du sud donc) d’ici la fin de la législature ».

Mais pourquoi « la principale », alors que les études officielles confirment qu’elle n’apportera pratiquement rien à la mobilité à Bruxelles ? Tout simplement parce qu’elle engagera le double des moyens budgétaires disponibles pour l’ensemble de la politique, et par conséquent (il ne faut pas être mathématicien pour le comprendre), il ne restera rien pour le reste.  Quant au résultat, tout le monde sait qu’on ne peut pas y arriver dans le délai : d’ici cinq ans on se retrouvera en plein chantier avec en prime la destruction du réseau tram impacté (et l’augmentation de circulation routière concomitante, de Forest, Uccle et Schaerbeek).

Anecdotiquement on notera dans le programme une attention pour l’accessibilité aux PMR, l’amélioration du confort général et la sécurisation des transports publics.  Sûr que les longs couloirs souterrains, les stations à trente mètres de profondeur et les escalators sans cesse en panne y contribueront largement.

À côté de ceci, en faveur de la mobilité, le Gouvernement s’engage à réaliser le plan directeur bus « dans les meilleurs délais ».  Ouf : ces délais ne sont pas contraints par la fin de la législature, ce qui permet de s’en sortir, vu qu’il n’y aura plus de moyens.

Il confirme aussi « la réalisation d’ici 2021 de la prolongation des trams 3 et 9 vers le plateau du Heysel et, d’ici 2024, des nouvelles lignes de tram vers Neder-Over-Hembeek et Tour & Taxis ».  La seconde est déjà en route, cela n’engage à rien.  La première est inutile, parce qu’elle existe déjà.  Les deux dernières sont plus intéressantes ; on se demande pourtant aussi comment elles seront financées ; quoi qu’il en soit elles resteront confinées à un rôle local en périphérie, l’axe Nord – Midi qui leur aurait permis de rejoindre le centre ayant entretemps été condamné par le chantier du métro, et le terminus place Rogier peine déjà à accueillir les deux lignes existantes.  D’autres lignes seront « initiées » : prudent, le Gouvernement « mettra en œuvre provisoirement ces nouvelles lignes par des bus à haut niveau de service », gadget peu performant très en vogue chez les responsables politiques (le concept pourra être évalué à l’aune du projet De Lijn qui devrait incessamment être mis en service en banlieue nord de Bruxelles).  Globalement, pas de quoi compenser la suppression des importantes lignes reliant encore l’agglomération au centre-ville, qui, au contraire, devraient être revalorisées comme c’était le cas au XXème siècle.

Quant aux moyens, tentons de nous rassurer, puisque « le Gouvernement entend assurer le financement du plan pluriannuel d’investissements de la STIB ».  Reste à voir comment : rien que le projet de métro est évalué actuellement à 2 milliards, soit 4.000 € par contribuable bruxellois.  On attend donc un miracle, ou, plus prosaïquement, une débudgétisation genre PPP – c’est à la mode – pour faire payer nos enfants et petits-enfants : merci pour eux.

À défaut de développement du réseau « le Gouvernement réalisera de manière prioritaire l’ensemble du programme Avanti », qui propose des améliorations des conditions de circulation sur le réseau existant.  Encore une priorité : il travaillera le Gouvernement.  Comme on peut espérer ici une petite contribution à la mobilité et vu que le coût n’en est pas exorbitant, espérons que le bon sens prévale d’en faire vraiment une priorité.

Conscient de l’apport que peut apporter le chemin de fer à la mobilité bruxelloise, le Gouvernement « demandera » une augmentation de l’offre ferroviaire SNCB de et vers Bruxelles, ainsi que sur l’ensemble du réseau bruxellois pour parvenir à un temps d’attente maximal de 10 minutes en heure de pointe, de 15 minutes le reste de la journée, y compris le week-end et en soirée.  On peut toujours demander, comme ça on a la conscience tranquille : c’est pas ma faute, c’est les autres… les Bruxellois, eux, restent les dindons.

Mais heureusement « le Gouvernement étudiera la faisabilité opérationnelle et financière et les conditions d’exploitation, au bénéfice des Bruxellois, du réseau ferroviaire intra-bruxellois ».  En fait le REB – Réseau Express Bruxellois, que les milieux associatifs ont déjà étudié et proposé.  Idée plus que positive vu sa faisabilité et l’apport considérable qu’il apporterait à faible coût, mais évidemment sujette à la bonne volonté politique… à cet égard, prudemment, on se contentera de l’« étudier », ce qui permettra de se dédouaner  et d’en reparler dans cinq ans.

La conclusion d’un accord sur l’intégration tarifaire à l’échelle métropolitaine des opérateurs des transports publics, y compris avec le fédéral pour l’offre SNCB, est une priorité du début de la législature.  C’est l’évidence même : cela ne coûte rien ; cela existe dans toutes les villes un peu modernes, impliquant parfois des dizaines d’opérateurs.  On a déjà essayé il y a vingt ans en Belgique, sans succès ; espérons que la maturité politique ait un tant soit peu évolué : on verra dans cinq ans (il faut compter quelques mois pour rendre opérationnel un tel système, déjà préparé par les opérateurs (STIB etc), qui unifient leur billettique).

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Pour les cyclistes, le Gouvernement procèdera à l’aménagement systématique d’infrastructures cyclables séparées sur les grands axes régionaux et les voiries « où le gabarit le permet ».  Sous-entendu le gabarit requis pour la circulation automobile : on ne risque pas grand-chose.

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Pour réduire le trafic automobile le Gouvernement « réaffirme son souhait » de conclure un accord de coopération entre régions visant à mettre en œuvre une tarification kilométrique intelligente.  Bravo.  Mais un souhait n’engage à rien, et vu les perspectives politiques qui se dessinent dans les autres régions – et vu également l’absence d’alternatives offertes à la navette automobile, qui réduit l’acceptabilité sociale d’une idée a priori très saine – on ne peut évidemment qu’être sceptique quant à un résultat.

La fiscalité automobile (TMC, TC) sera revue en fonction d’objectifs environnementaux.  Ceci n’apporte rien à la mobilité mais bien, à terme, à la qualité de l’air, qui en a bien besoin.  On l’attend donc avec impatience.  Le nouveau régime visera l’ensemble des véhicules circulant à Bruxelles : très important vu que la moitié des voitures viennent de l’extérieur, et aussi pour une raison d’équité ; on s’interroge avec intérêt quant à la formule qui sera trouvée pour assujettir les non Bruxellois.

En parallèle « le Gouvernement poursuivra le développement de la zone de basses émissions (LEZ) ».  Mais elle touche pourtant déjà l’ensemble de la Région.  À préciser donc.  Ceci dit, la pollution engendrée par un véhicule est proportionnelle à ses émissions par kilomètre bien sûr, mais aussi au nombre de kilomètres qu’il parcourt.  Or on voit que la Région n’envisage pas grand-chose qui serait de nature à réduire le trafic.  Ce n’est pas le discours plutôt fumeux sur le Ring ou sur la politique de stationnement qui résoudra le problème : il faut des alternatives crédibles à l’usage de la voiture, comme dans les villes modernes.

« Le Gouvernement concrétisera, pour le 1er janvier 2021, la création d’une zone 30 généralisée, à l’exception des voiries structurantes ».  Quoiqu’elle ne favorise pas en elle-même la mobilité, une telle mesure, proposée par les associations il y a un quart de siècle, devrait avoir un effet important sur la sécurité routière et la convivialité de l’espace public.  Bravo donc.  Mais évidemment, dans un souci de réalisme (l’écrasante majorité des voiries concernées étant compétence communale), « le Gouvernement initiera … une vaste campagne de communication et de prévention visant à renforcer la crédibilité et l’acceptation sociale de cette mesure » : une concrétisation pour le 1er janvier 2021 est une prévision un peu optimiste.

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Bilan : quelques progrès à espérer quant à la qualité de l’air et la sécurité routière, pas de modération significative du trafic routier cependant faute d’alternatives par les transports en commun.

Le Gouvernement bruxellois est évidemment victime de la complexité institutionnelle belge, qui réduit sa marge de manœuvre.  On rappellera à cet égard la promesse faite lors de la dernière réforme de l’Etat d’instaurer une communauté métropolitaine censée régler notamment les problèmes de mobilité.  Ce n’est pourtant pas une raison valable pour que Bruxelles n’agisse pas efficacement dans sa sphère de compétences.

D’autant qu’il serait simple et peu coûteux de mener une politique de mobilité réelle, s’appuyant par exemple sur des concepts réalistes tels que la Cityvision et le REB – Réseau express bruxellois.

Encore cinq ans de patience, et l’impasse dans laquelle on se trouvera fera peut-être (ré)émerger des idées saines… mais malheureusement dans un contexte de finances à sec et de démantèlement du réseau de trams existant : ne nous réjouissons pas trop vite.

 

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