Métro de Charleroi : une opportunité à saisir

Métro de Charleroi : une opportunité à saisir

Le vin est tiré : il faut le boire ; mais si on s’y prend bien le cru sera bien meilleur qu’on pourrait croire.  Explication :

14 mars 2012

Février a vu l’inauguration de deux petits tronçons – dont l’un stratégique – du métro léger de Charleroi. Incontestablement un événement de nature à tempérer quelque peu l’incrédulité envers l’avenir de ce projet vieux de quarante ans.

Nous ne reviendrons pas sur la saga du MLC, qui en résumé a été qualifié d’un des plus grands “GTI” – grands travaux inutiles – de la fin du siècle dernier : beaucoup a été écrit sur le sujet.  Notre propos est lui résolument constructif : on a ce qu’on a, tirons-en un profit maximum, étant entendu que Charleroi, avec 350.000 habitants, est la seconde agglomération de Wallonie et a besoin de transports publics performants.

A cet égard les récentes initiatives, mises à fruit ou en cours, sont de bonnes initiatives : le prolongement de Soleilmont dessert une région peuplée et double pratiquement l’utilité de l’antenne de Gilly à l’aide de 2 km qui étaient déjà pratiquement construits ; la fermeture de la boucle centrale assure une relation directe depuis les quartiers vers les points névralgiques du centre (même si le métro snobe un peu celui-ci en le contournant), et la réouverture de la ligne de tram de Gosselies, amenée à alimenter le métro, mettra aussi des quartiers assez peuplés en relation avec la ville.

On va donc vers une forte valorisation des infrastructures végétant depuis des années, au prix d’une facture raisonnable (et qui l’aurait été encore beaucoup plus si, en ce qui concerne Gosselies, on s’était dispensé de détruire pour la reconstruire une ligne parfaitement en état et n’ayant jamais servi.

Il en résultera une importante augmentation de la clientèle, et donc de l’utilité sociale du système, qui justifiera un peu plus son coût d’exploitation.  Accessoirement l’augmentation de clientèle favorisera également la sécurité, ce qui en l’occurrence n’est pas un luxe : pour rappel le métro est fermé après 20 h pour cette raison.

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Ceci étant, cela donnera un réseau de trois lignes s’articulant sur une boucle : ce n’est évidemment pas LA réponse à notre agglomération, particulièrement étendue.  Il faut donc continuer dans la voie vertueuse qui a été relancée.

Comment?

Avec un peu de bon sens, orienté vers une recherche de l’intérêt général, deux principes de base s’imposent :

  • Valoriser l’existant dans toute la mesure où il peut l’être
  • Adopter des techniques de transport modernes et efficientes, c’est-à-dire présentant un rapport efficacité / coût avantageux

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Valoriser l’existant se décline de deux manières au moins : utiliser les infrastructures construites il y a des décennies et jamais exploitées, et mieux valoriser celles déjà en service en les intégrant mieux au réseau de transport.

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Utiliser les infrastructures construites

Utiliser les infrastructures vise en l’occurrence, comme chacun sait, la branche de Chatelet, pratiquement utilisable sur la moitié, au gros œuvre construit sur un quart supplémentaire, et dont il ne manque que le dernier quart : formidable gaspillage donc si rien n’y est fait.  On en débat depuis des années, on commandite des études, mais chaque année et chaque étude qui passe ne fait que plomber la facture : il est temps d’agir.  La géographie des lieux fait que la poussée jusque Chatelet (Corbeau), important pôle de la région, est indispensable à la valorisation de la ligne entière : l’arrêter à ce qui existe n’aurait pas de sens à terme (ceci sans préjudice du haut intérêt symbolique d’une ouverture à très court terme du tronçon utilisable, qui, outre la desserte des habitants, montrerait un important signe de foi et boosterait la confiance du public).

On parle actuellement de 39 M€ pour l’infrastructure, dont un partie non négligeable pour réparer ce qui a été vandalisé, facture auxquels certains veulent ajouter un chouia pour du matériel roulant, mais qui n’est en fait pas nécessaire si on veut bien ne pas reprendre la politique menée pendant des décennies de cannibaliser des motrices n’ayant jamais servi pour en faire des réservoirs de pièces de rechange.  Un sacrifice, certes, mais qu’il faut relativiser : même si ce n’est pas le même budget, on se consolera en relevant que ce montant est bien modeste comparé à ce qu’on dépense par exemple pour des chimères dans le métro bruxellois.

Un »sacrifice » qu’il faut faire, parce que l’utilité de la ligne dépasse de loin le nombre d’habitants directement desservis : il y a aussi les synergies générées par ce qu’on appelle l“effet réseau” : une ligne supplémentaire apporte beaucoup plus de voyageurs que son potentiel propre, parce qu’elle offre de nouvelles relations à tous les habitants : dans l’exemple, les usagers de Chatelet et Montignies peuvent aller non seulement à Charleroi, mais aussi à Gilly, et ceux de Gilly, Gosselies etc peuvent aller à Chatelet, ce qui gonfle d’autant le trafic de la ligne concernée et des autres lignes.  Schématiquement, l’adjonction d’un cinquième pôle au réseau (+ 25%), auprès de Charleroi, Anderlues, Gilly et Gosselies, porterait de 6 à 10 (+ 67%) le nombre de relations entre ces pôles.

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Faire du métro un embryon de réseau donc, mais il faut aller plus loin :

Intégrer le métro dans un vrai réseau de transport pour l’agglomération

Cette idée elle-même se décline également de deux manières : alimenter le métro par les usagers de lignes d’autobus de rabattement, ou l’alimenter directement par des trams venant de plus loin.

Des lignes de rabattement

Cette première formule est évidemment la plus simple et la meilleur marché : elle peut même avoir un coût négatif par les économies issues de suppressions de dessertes bus parallèles, redondantes.  Jusqu’à présent on ne peut pas vraiment dire qu’on l’a exploitée, sauf à échelle modeste avec la nouvelle station d’échange de Soleilmont, au demeurant bien conçue.

Il faut dire qu’elle présente un inconvénient majeur, la “rupture de charge”, c’est-à-dire la correspondance imposée aux voyageurs, avec les désagréments qui en découlent et son inévitable perte de temps.  Il faut donc que cette perte de temps soit plus que compensée par l’utilisation du métro, ce qui ne peut être le cas que pour des distances importantes, et pour autant que le métro roule vite.  A cet égard, il faut rappeler que le métro vers Anderlues ne met que deux minutes de moins que le tram qui parcourait le même trajet il y a un demi-siècle…  Peut – et doit – mieux faire pour être convaincant.  Heureusement, il apparaît à l’examen que ce n’est pas trop difficile, moyennant un peu de bonne volonté (simple anecdote : les véhicules du MLC, autorisés à 65 km/h, sont les mêmes que ceux de la côte belge, qui roulent à 75 ; et la géométrie de l’infrastructure du MLC est largement dimensionnée pour rouler vite).

Autre condition : la qualité du point de correspondance : si on ne peut rien reprocher à Soleilmont, on ne risque pas d’attirer les clients à Anderlues par exemple …

Moyennant ces conditions, les terminus de Gosselies et Anderlues peuvent devenir des pôles de rabattement vers le métro léger.  Chatelet pourrait l’être également.

Des lignes en prolongement

À propos d’Anderlues justement, qui fait triste mine comme terminus (qui donc va à Anderlues ?), et aussi comme point de correspondance malgré qu’il s’agisse d’un carrefour (vu la qualité de l’aménagement, ET parce que les correspondances sont mal assurées, pour des raisons de conflits entre TECs), ce n’est pas sombrer dans un passéisme béat de rappeler qu’à l’origine du MLC, il s’agissait du point de convergence de trois lignes de tramway (depuis Thuin, Mons, et la région de La Louvière), qui assuraient au tronc commun – maintenant le métro – une clientèle non négligeable. Cette situation intéressante a été démantelée dans le cadre du démantèlement plus global de tous les réseaux de tram de la région de Charleroi au moment de la création du métro, politique menée essentiellement sous la férule de deux petits chefs qui ne pouvaient se supporter, avec il est vrai une passivité crasse de l’autorité de tutelle, plus occupée à inaugurer les nombreux rings autoroutiers.  C’est en fait ce qui a engendré la faillite du métro de Charleroi avant sa naissance.

Mais trêve de regrets, nous sommes là pour (re)construire.  Le propos ici est de montrer qu’une seconde piste de valorisation du métro léger est la (re)construction d’antennes valorisant les troncs communs.  Bien sûr il faut renoncer aux dispendieux tunnels et viaducs, et simplement renouer avec une technique ancestrale dont des dizaines de villes en France et ailleurs ont compris l’intérêt ces dernières années : le tramway, parfaitement compatible avec le MLC.

Un simple shift de mentalité à la base, à partir duquel tout – ou presque – devient possible, parce que le tram coûte cinq à dix fois moins cher que le métro.

Bien sûr il n’est pas question de reconstruire l’imposant – et efficace – réseau vicinal qui jadis innervait le Hainaut (quoiqu’ici on ne peut manquer de remarquer qu’à à peine 8 km à l’ouest d’Anderlues, dans le prolongement du MLC, se trouve Binche, agglomération forte de près de 25.000 habitants qui ne bénéficie pas de liaison ferroviaire directe avec la capitale du Pays Noir).  Mais bien d’examiner au cas par cas les petites opérations bon marché qui génèreraient de grandes plus values au métro.

Il faut renoncer aux antennes initialement prévues vers Mont-sur-Marchienne et Loverval, entièrement en tunnel (ce qui ne veut pas dire que ces communes ne doivent pas être desservies), et à celle de Gosselies, avantageusement remplacée par la (sage) décision prise récemment de réhabiliter l’ancien tram.  Par contre il serait sans doute intéressant de reconsidérer (à ce stade on n’est pas à la conclusion!) celles de Courcelles et de Ransart (depuis la chaussée de Bruxelles), prévues d’origine en surface ; cette dernière à la condition expresse évidemment qu’elle desserve l’aérogare, ce que de nouveaux conflits idéologico-personnels fidèles à la tradition semblent mettre en cause, au détriment une fois de plus de l’intérêt général.  Deux conditions sine qua non de la pertinence de ces antennes est qu’elles desservent suffisamment de lieux d’intérêt, et qu’elles s’alignent sur des terrains libres d’expropriations.

Et il faut aussi penser à de petites antennes porteuses : Lodelinsart, Gohyssart, … : petits budgets, effets appréciables.

Et ne pas oublier le versant sud de l’agglomération, délaissé du fait de l’abandon des options pharaoniques qui avaient été prises pour lui.  A cet égard, lançons une idée un peu osée : la route de Philippeville est trop étroite ? Pourquoi ne pas y implanter un tram en site propre intégral à simple voie ?  On voit venir la bordée de critiques simplistes au nom du politiquement correct ; pourtant le politiquement correct belge est un peu étriqué : le métro de Lausanne roule sur une simple voie avec des passages à intervalles descendant à 7 minutes ½ (ce qui a aussi été le cas sur … l’actuelle ligne Fontaine – Anderlues !); sur la Leidsestraat à Amsterdam des trams se succèdent à intervalles de 2 minutes ½ dans chaque sens sur une ligne à simple voie….  Proposer n’est pas conclure, mais ce qui précède vise juste à montrer qu’oser la réflexion ne peut qu’enrichir la palette des solutions, et qu’adopter une telle attitude dans la décision en Belgique ne pourrait qu’améliorer le service public et épargner les finances du pays, ou de la région.

L’idée originelle des antennes fusionnant sur la boucle n’était pas du tout idiote : elle a simplement coulé du fait des modalités d’exécution : la mégalomanie des infrastructures d’une part, le déni de tirer parti de l’existant – les trams – qui aurait pu la valoriser d’autre part.

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Une vision à long terme

C’est un débat à une autre échelle de temps, mais en matière d’infrastructures, avoir une vision permet d’éviter les coûteux travaux inutiles.  Ceci aussi est une réflexion qui gagnerait à acquérir une audience dans notre pays, parce qu’elle sonnerait le glas des GTIs.

Pour le plus long terme donc, parce qu’un jour il faudra bien renouveler tout le matériel roulant « tramway » qui atteint déjà maintenant un âge respectable, il faudrait développer une vraie vision, réfléchir à une modernisation du concept de transport public, avec en vue  l’intégration du métro et du chemin de fer.  Celui-ci présente en effet pour la région de Charleroi un haut potentiel et est, comme partout ailleurs en Belgique, très largement sous-exploité ;  malheureusement il n’atteint pas le centre ville.  On pense ici au train-tram, qui nécessite cependant la conversion de l’écartement des voies du métro de Charleroi, et donc ne peut s’improviser.

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